ah! l’éducation
"Comment accepter la suffisance et le mépris de ceux qui, face aux difficultés éducatives d'aujourd'hui, tout en n'ayant que le mot "confiance" à la bouche, ne proposent comme grille de lecture que la désignation de boucs émissaires - le pédagogisme et l'égalitarisme - et le recours à des remèdes miracles - les neurosciences et le numérique." Philippe Meirieu lance "La Riposte", un nouvel ouvrage qui sort aujourd'hui.
Face aux bonnes vieilles méthodes qui trient les élèves, aux écoles alternatives qui exploitent les parents et aux usages abusifs des neurosciences, l’auteur appelle à « en finir avec les miroirs aux alouettes » et à relever les vrais défis éducatifs.
Philippe Meirieu, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Lumière- Lyon 2 – chercheur et militant, auteur de nombreux ouvrages sur l’éducation, inspirateur de réformes sur l’école, est incontournable dans tout débat sur l’évolution des enseignements.
Il a ses détracteurs et donne à réfléchir. Pour lui, et nous pouvons le constater nous-mêmes, il est étonnant de voir se développer, tout à la fois, la référence à l’Éducation nouvelle et la mythologie des sempiternels « retours » : retour de l’autorité, de la dictée, de la méthode syllabique, du travail « sérieux » dans le strict respect des disciplines contre une interdisciplinarité qui serait condamnée à la superficialité, etc.
Pour certains pédagogues, enseignants, l’instruction ne se « négocie » pas. L’enfant doit apprendre et donc faire des efforts. Pour d’autres, toute contrainte est castratrice, les enfants, naturellement libres et bons, avides d’apprendre et désireux de grandir, semblent pouvoir être abandonnés à eux-mêmes et, dès lors qu’ils bénéficient du regard bienveillant de l’adulte, constituent une collectivité sereine et équilibrée bien plus efficace que n’importe quelle école.
Apprendre demande un effort
« Le professeur ne doit pas seulement transmettre des savoirs, mais aussi un rapport particulier au savoir. Qui est à la fois un rapport au temps et au désir, c’est-à-dire un rapport au plaisir : il faut, en effet, que nos élèves passent du plaisir immédiat que procure la réponse facile au plaisir de la découverte progressive, avec des zones d’ombre qu’il faudra progressivement éclairer, des prolongements inattendus, des objections qui surgiront là où on ne les attendait pas, voire des contradictions qu’on devra affronter.
A l’heure des fake news et de la montée des thèses conspirationnistes, face à la masse d’informations de toutes sortes et au triomphe des slogans, quand les moteurs de recherche et toute l’armada du numérique privilégient systématiquement l’attractivité à la vérité… l’apprentissage du débat rigoureux devient une urgence démocratique absolue. Inscrivons tout cela dans une gestion du temps plus sereine au sein de l’école et de l’établissement.
Favoriser la coopération
Dans un monde où la brutalité des rapports de force compromet la possibilité même de notre survie collective, il faut affirmer avec force que la pédagogie ne peut pas faire l’économie de l’apprentissage de la coopération. La coopération, c’est d’abord l’entraide entre élèves. Je ne soulignerai jamais assez à quel point il y a là un enjeu essentiel à mes yeux. Notre Ecole se prive en effet trop souvent d’un moyen fondamental pour favoriser le progrès intellectuel de deux élèves tout en leur permettant de découvrir à quel point leur collaboration les enrichit et leur solidarité est infiniment précieuse. Car l’entraide bénéficie tout aussi bien à celui qui aide qu’à celui qui est aidé ; elle peut se pratiquer entre des élèves d’une même classe ou des élèves d’âges et de niveaux très différents ; elle peut être ponctuelle ou prendre la forme d’un monitorat sur la durée ; elle peut s’effectuer dans une relation duelle ou s’inscrire dans un « réseau d’échanges réciproques de savoirs ».
Pas de désinvolture
Il y en a où les « heures de vie de classe » sont utilisées pour faire du « soutien » ou dicter quelques vagues consignes. Il y en a aussi où aucune manifestation culturelle n’est organisée par les élèves et leurs professeurs. Où les élèves ne sont associés ni à la décoration ni à l’entretien des bâtiments. Où les parents ne sont réunis qu’une fois par an, devant quelques professeurs qui, n’ayant rien préparé, se tirent par la manche pour se donner la parole et expliquent, une fois de plus, que les programmes sont trop chargés et qu’ils ne peuvent pas travailler à la place des enfants !
Il y a même encore des établissements où les classes sont des espaces interlopes sur les murs desquels pendent des affiches depuis longtemps périmées. Des classes où le professeur demande toutes les trois minutes aux élèves de se taire, mais continue son cours sans attendre le silence. Des classes où sont distribuées des photocopies à peine lisibles que les élèves mettent en boule dans leur cartable avant de les jeter à la poubelle à la fin de la semaine. Des classes où l’on ne fait pas reprendre avec bienveillance un travail jusqu’à ce qu’il devienne le chef-d’œuvre de l’élève. Bref des classes sans véritables exigence et bienveillance.