« Et si l’effondrement avait déjà eu lieu » de Roland Gori

Un ouvrage salutaire et porteur d'espoir.

Un constat alarmant

Le psychanalyste Roland Gori développe l’idée que le discours de l’effondrement relève de la croyance et oublie les fondamentaux de l’esprit critique qui ont mené aux progrès sociaux. Nos malheurs actuels, – pandémie, crise climatique, crises sociales et psychiques, de notre impréparation culturelle, sociale et civilisationnelle. Notre sol s’est dérobé, nos fondations s’effondrent, comment alors penser l’avenir ?

L’auteur est un homme engagé

Initiateur en 2018 de L’Appel des appels, lancé pour « résister à la destruction volontaire et systématique de tout ce qui tisse le lien social ». Demain, dit-il lorsque la normalisation des conduites et des métiers régnera définitivement, il sera trop tard. Soin, éducation, recherche, justice seront formatés par la politique du chiffre, des statistiques, des tableaux,  et la concurrence de tous contre tous. Il ne restera plus à l’information, à l’art et à la culture qu’à se faire les accessoires d’une fabrique de l’opinion pour un citoyen consommateur. Face à de prétendues réformes aux conséquences désastreuses, les contributeurs, psychanalystes, enseignants, médecins, psychologues, chercheurs, artistes, journalistes, magistrats, dressent l’état des lieux depuis leur coeur de métier et combattent la course à la performance qui exige leur soumission et augure d’une forme nouvelle de barbarie. L’Appel des appels prône le rassemblement des forces sociales et culturelles. Il invite à parler d’une seule voix pour s’opposer à la transformation de l’Etat en entreprise, au saccage des services publics et à la destruction des valeurs de solidarité humaine, de liberté intellectuelle et de justice sociale. Infatigable pourfendeur des normes néolibérales, il s’insurge contre un management qui ne pense qu’à évaluation et ne mesure jamais l’essentiel.

Notre monde est hyper fragile

Roland Gori souligne l’hyperfragilité d’un modèle de développement qu’on croit encore robuste : ça n’est pas parce que des accidents nucléaires ou des marées noires, par le passé, n’ont pas ravagé l’économie mondiale, qu’une nouvelle catastrophe de ce type ne pourrait pas le faire. Selon le psychanalyste, la question n’est donc pas de savoir si un effondrement peut avoir lieu, mais plutôt  de quel effondrement parlons-nous ?

Le sous-titre du livre prend tout son sens : « L’étrange défaite de nos croyances » est un clin d’œil à L’étrange défaite de l’historien Marc Bloch, livre paru en 1940. Officier pendant la seconde guerre mondiale, Bloch ne décolérait pas contre la responsabilité partagée du commandement et du renseignement en amont du conflit, et contre le manque de concertation qui a poussé la France à capituler alors qu’elle pouvait encore combattre les nazis. Le livre ne cède pas à la tentation du point Godwin mais décortique plutôt notre abandon de l’idéal de progrès pour toutes et tous, et le fait que nous acceptons le joug progressiste qui réduit  au strict minimum l’État social, comme si l’on attendait la libération de cet asservissement par l’effondrement…

Que devient l’idéal de progrès?

Roland Gori montre de façon très convaincante que le renoncement à un idéal n’est pas un projet de société et que nous devons retisser les contours d’un progrès social et écologique fort. Plus manuel de lutte contre un quotidien étouffant que manifeste politique, son essai permet de retrouver confiance dans l’existence d’un « après » vraiment différent de l’avant – ce qui n’est pas rien.

Il y a un déséquilibre majeur, entre les croyances du passé et illusions des discours progressistes qui, au nom de la modernité nous font rater depuis un siècle nos rendez-vous avec l’histoire. Un nouveau langage nous manque pour dire un monde aujourd’hui disloqué, chaotique, fait d’une multitude d’événements inattendus.

Nous pensons trop à court terme

Il nous faut sans attendre inventer une nouvelle forme d’utopie fabriquée avec l’étoffe de nos rêves, pensée moins comme le projet d’un avenir meilleur sans cesse repoussé aux calendes grecques que comme l’originalité à saisir à tout moment pour inventer un futur inédit.

Roland Gori est psychanalyste, professeur honoraire de psychopathologie à Aix-Marseille-Université et Président de l’Association Appel des Appels. Il a publié une vingtaine d’ouvrages dont, aux éditions Les Liens qui libèrent, La nudité du pouvoir : comprendre le moment Macron, La Dignité de penser, L’Individu ingouvernable, Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ?, Un Monde sans Esprit et La Fabrique des imposteurs.

31 Août 2022- Albin Michel

Les liens qui libèrent. – 2020

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